
« Parler de ses peines, c’est déjà se consoler »
En poussant la porte du local associatif de « SOS Amitiés », elle regarde sa montre, vérifie qu’elle est à l’heure…Un peu d’avance. Elle prend soin de refermer à clé, va remonter le store de la cuisine, puisque le jour se lève, se sert un verre d’eau, et file au fond du couloir vers la dernière pièce. Il n’y a personne aujourd’hui à croiser, mais quelques mots laissés sur le bureau à son attention, souvent des paroles gentilles, avec « bon courage ».
Elle laisse alors manteau et sac sur le canapé, met son portable en mode silencieux, et s’assoit. Sur l’ordinateur, elle valide une tranche horaire.
Étrange impression : elle se retrouve dans un appartement tranquille du centre- ville, joliment meublé, devenu familier. Un lieu ordinaire… en apparence. Car il n’y a pas de nom sur l’interphone ou la boîte aux lettres - l’adresse doit rester secrète - et le temps, ici, va être suspendu. Comme tous les bénévoles qui se succèdent là, pour quelques heures ou une nuit, elle mettra sa vie personnelle en retrait, et devient anonyme. Elle ne sera plus qu’une voix, sans visage, sans prénom. Alors elle enlève la touche « pause » du téléphone. Rapidement l’appareil sonne, deux fois et elle décroche. « S.O.S Amitié, bonjour...».
L’association S.O.S Amitié existe depuis une soixantaine d’années regroupant 1600 bénévoles.Son but premier est la prévention du suicide, par l’écoute des personnes en mal de vivre de notre société, celles qui sont confrontées, notamment, à la solitude. Dans une quarantaine de villes en France, des bénévoles assurent une permanence téléphonique, quasi constante, le jour comme la nuit, et apportent leur soutien, à travers une écoute attentive et respectueuse de la dignité. Cette tâche demande une bonne aptitude à l’écoute des difficultés humaines : chaque année, ces bénévoles reçoivent une formation de qualité, tant initiale que continue.
Offrir la possibilité de parler, de mettre de mots sur son mal-être : l’écoutant ne se situe jamais au dessus, il n’est ni un guide, ni un conseiller. Il accompagne, et prend le temps, acceptant aussi les silences, pour dénouer le fil ou l’angoisse, apaiser. Les caractéristiques de cette écoute sont formalisées dans une charte, qui régit ce service d’aide. Centrée sur l’appelant, sans conditions ni préjugés, mais avec empathie, neutralité, bienveillance, cette forme d’écoute découle de notions explicitées par Carl Rogers, psychologue humaniste américain (1902-1987).
S.O.S Amitié a progressivement développé son service d’aide et propose, depuis une dizaine d’années, l’écoute par internet, qui amène une plus grande distance encore, à travers une messagerie, ou le chat. Ce dernier est devenu primordial, car il s’adresse à des jeunes, qui préfèrent cette forme d’écrit au téléphone, ou aux personnes en grande difficulté d’expression orale. Aujourd’hui, les objectifs de l’association sont multiples : maintenir avant tout une écoute de qualité, renforcer les équipes puisqu’elle ne peut répondre qu’à un appel sur trois, un chat sur dix, rechercher des subventions.
Ce jour-là, quand vient le moment de la relève, elle aura répondu à une quinzaine de personnes. Elle laisse la place, échange quelques mots avec son successeur, parfois un café. Les histoires entendues restent confidentielles, et ne se racontent pas à l’extérieur. Pourtant tout cela, les cahots et les sales coups de la vie, l’isolement, les détresses, les insultes ou la gentillesse, tout cela impacte et questionne, induisant des doutes, des émotions. Pour s’en soulager ou bien les partager, des rencontres, supervisées par des psychologues, sont proposées, régulièrement. Néanmoins, des bénévoles comme Francis ressortent « grandis » de cette expérience : « À S .O .S Amitié, on ne sait jamais à cause de l’anonymat si on a apporté à ceux qui nous appellent un peu de réconfort ou une aide quelconque. Par contre, ce que l’on sait, c’est que tous ceux qui nous appellent nous ont apporté énormément par ces contacts brefs mais en profondeur avec des gens qui parlent enfin de ce qui les touche vraiment et pas de choses superficielles. J’en garderai un sentiment de responsabilité envers les autres qui sont tout simplement d’autres moi-même. Cela m’a aussi aidé à être vraiment moi-même. »
En refermant la porte du local, elle ne se sent pas toujours légère. Quand on raccroche, on ne sait pas. Que fera la personne après ? On n’a jamais la réponse. Mais comme le dirait Albert Camus “Parler de ses peines, c’est déjà se consoler”..
Béatrice, le 25 octobre 2018
LES INFORMATIONS CLÉS
QUI
QUOI
Service d’écoute multimédia, anonyme et bénévole, gratuit, tout au long de l’année, du jour et de la nuit dont l’objectif premier est la prévention du suicide
OÙ
Les permanences d’écoute sont assurées dans des lieux dédiés, réservés à cet effet. Il en existe 50 en France.
CRITÈRES D'ENTRÉE
Pas de critères professionnels, ni d’âge, ni de sexe ;
Pour toute personne,
qui recherche un engagement bénévole solidaire,
qui croit au pouvoir des mots
qui dispose de quelques heures par semaine
qui est attentive aux autres, sans a priori, avec bienveillance
POINTS FORTS
L’enrichissement personnel pour le bénévole
Libre expression des appelants grâce au caractère confidentiel des propos, àl’anonymat des écoutants et à l’écoute active
La participation à des réflexions sur des problèmes sociaux et sociétaux au sein de l’UNPS (Union Nationale pour la Prévention du Suicide) et de l’IFOTES (International Federation of Telephone Emergency Services).
COMMENT AIDER
En devenant écoutant
En faisant un don financier
CONTACT
Par le site internet : www.sos-amitie.com
Par le téléphone : 09 72 39 40 50
a.mathiot@laposte.net